samedi 10 août 2013

Jeunes pousses (1/4) - Appréhender l'éternité

I – Appréhender l’éternité

Apesanteur. Terreur. La peur de la mort. Absolue. Terrible. Cet instant d’impuissance ultime qui s’étire à l’infini. Les quatre roues du véhicule ont quitté le sol, ma trajectoire est à son point culminant. Bientôt, la gravité reprendra ses droits, et je devrai subir le flot du temps qui reprend sa course. Alors, ce sera le choc. L’adrénaline. La vitesse. Les couleurs floues qui s’emmêlent. Des tonneaux peut-être. La panique. La douleur. Est-ce ainsi que je vais mourir ? En cet ultime instant suspendu, où je réalise que la mort est plus qu’une idée abstraite, je pense à Lilly et Fleur, mes deux filles. Je pense à Alexandra leur mère. Je me dis que j’aurais bien aimé continuer. Je pense à ce van qui m’a vu grandir et qui va maintenant m’accompagner dans mon dernier voyage. C’est la synthèse de toute une vie, d’une époque, d’idées que j’avais faites miennes. Mon âme mécanique et immortelle. J’aimerais qu’il me survive. Mais déjà le temps me rattrape. Mon cœur se soulève, mes lunettes rondes quittent l’arête de mon nez. J’entends ma guitare qui décolle, les couverts qui s’entrechoquent, les placards qui s’ouvrent. Dans le rétroviseur le monde entier bascule. Le vent siffle. Se cramponner. Serre les dents Bernie, ça risque de faire mal.

***

Alors c’est ça la mort ? C’est un peu comme retirer un sparadrap d’une jambe poilue. L’allégorie vaut ce qu’elle vaut, mais j’ai du mal à trouver les mots. On sait que ça va faire mal. On appréhende un peu plus qu’il ne faudrait. Et puis, voilà c’est fait. Passée la douleur, on est encore là, pas tout à fait le même. Les sens en éveil, l’âme à fleur de peau. Une certaine clarté d’esprit s’installe. Une lucidité surnaturelle. Savoir les choses d’un simple regard. La sensation d’être diffus, sans matière, éther contenu par la seule pensée. Perdre totalement la notion du temps. Une semaine passe comme une minute dans le vert obscur de cette forêt qui m’entoure. Aussi, j’ai vraiment du mal à dire combien de temps s’est écoulé depuis que je me suis « réveillé » à côté de mon cadavre. Des jours ? Des heures ? Des années ? Un calme étrange s’empare de moi tandis que je m’absorbe dans l’étude de ce corps meurtri, défiguré. Pas de ceinture de sécurité bien entendu, les libres penseurs n’en n’ont pas besoin. Si j’avais su. À quoi bon à présent ? Existe-t-il plus implacable fatalité que le constat de sa propre mort ? Plus aucun retour en arrière. En observant ce corps qui était mien, je commence à appréhender l’éternité.

Jeunes pousses (2/4) - Prisonnier

II – Prisonnier

Avant d’être ces os brisés, cette chair en putréfaction, j’étais… Bernie le hippie, pour les passants incrédules qui voyaient arriver mon van exubérant. Bernie le roady, pour les collègues avec qui j’ai passé ma vie à monter et démonter des scènes. Papa, pour Lilly et Fleur, mes deux amours. Bernard, pour mon ex-femme Alexandra et son sourire doux-amer. Je pense à tous ces gens que j’ai rencontrés dans ma vie. Cette vie passée sur les routes. Avec les filles, avec leur mère, avec le chagrin, avec la musique. Tout paraît si simple maintenant. C’est comme observer le personnage d’une comédie dramatique se débattre contre son destin. La douleur, la peine, la joie, la passion ; tout ça était si réel, mais vu d’ici, ma vie n’est plus qu’une succession d’images. Cette distance me fait peur. Je n’ai pas envie de changer, même dans la mort. J’aimais bien cet homme que les années avaient façonné patiemment. Un type jovial, prompt à la plaisanterie. Bon mangeur, bon buveur, le joint facile. Le dernier hippie de France, avait titré un papier local après une interview au PMU du coin. Un titre honorifique dont je tirais une certaine fierté. Mon originalité, mon identité, ma vie telle que je la voulais. Libre sur les routes. Aller de festivals en festivals. Rencontrer des gens, faire l’amour, boire, fumer, rire, pleurer, aimer. Vivre. 

Que vais-je devenir à présent que je suis mort ? Maintenant que l’ultime limite est franchie ? Maintenant que l’éternité me tend les bras ? J’observe les insectes grouillants dévorer mes chairs. Je suis coincé dans cette camionnette à jamais. Mes déplacements ne sont limités que par l’intensité de ma conscience. Je suis à un endroit, avant d’être ailleurs. Pourtant, impossible de sortir d’ici. Comme si même la possibilité de m’imaginer dehors m’était interdite. Je suis frustré, impuissant. Je tourne en rond. La nuit tombe. Je repense à ma vie, à la façon dont je l’ai menée et j’observe mes ossements, mis à nu par les insectes, qui blanchissent peu à peu. Je repense à ce que j’ai accompli, aux choses que j’ai faites, et bientôt la poussière tapisse toutes les surfaces intérieures. La lumière de la lune traverse la carrosserie trouée par endroits, déchirant l’air poussiéreux de raies blafardes. Je me sens comme un poisson pris au piège d’une épave au fond des océans. Comme dans ces reportages de Jacques-Yves Cousteau que Fleur aimait tant. Et déjà, le jour succède de nouveau à la nuit. L’ennui ne s’applique pas aux gens de mon espèce. Le temps glisse imperceptiblement, et j’observe la forêt à travers le pare-brise à moitié arraché de mon tombeau.

Jeunes pousses (3/4) - Kevin et Sabrina

III – Kevin et Sabrina

            C’est comme si j’avais dormi mille ans. Ma conscience, dissoute, éparpillée, se rassemble peu à peu. Le soleil se déverse en torrent à l’intérieur du van. Quelqu’un vient d’en ouvrir la porte latérale, me tirant d’une longue méditation. Une, voire plusieurs décennies passées à rêver éveillé, à tenter de sentir le monde changer. Mais rien n’a changé, dehors la forêt est immuable. Verte et sombre. L’inconnu qui m’a tiré de ma transe se tient sans bouger dans l’ouverture de la porte. Il s’appelle Kevin, je l’apprends en le sondant du regard. Quels drôles de vêtements il porte. Chaussettes blanches remontées par-dessus un pantalon de survêtement, un épais blouson à capuche étoffe sa mince silhouette, une casquette beige à motif écossais comme déposée sur le sommet du crâne. Le tout donne une impression détonante, comme s’il avait choisi des habits au hasard en ouvrant son placard. Mais qui suis-je pour juger ses choix vestimentaires, moi qui arborais pattes d’eph’ et T-shirts bariolés quand mes congénères évoluaient en vestes anthracite, attaché-case et raies gominées. Il reste là, tétanisé, la bouche entrouverte dans une expression idiote de surprise. Sa peau, déjà très pâle, vire presque au transparent sous le coup de l’émotion. Son regard glisse sur mes os blanchis, sonde les orbites vides de mon crâne brisé. « Sabrinôôô ! Viens vouar s’teu plé ! » s’écrie-t-il en s’écartant rapidement du véhicule à l’abandon. Quel bel accent que celui du Nord. « Sabrinôôô ! » appelle-t-il encore d’une voix tremblante sans cesser de reculer. La voie est libre, la porte est grande ouverte. Enfin, je peux admirer le paysage au lieu de le deviner. À défaut de pouvoir sortir, cela me suffit. Si près de la liberté et pourtant à jamais prisonnier. Kevin revient déjà, traînant une jeune fille par le bras, la fameuse Sabrina. « Mais j’en ai rien à faire d’ton camion d’brin lô ! » Dix-sept ans, trop maquillée, les cheveux teints en noir, le corps engoncé dans des vêtements qui semblent trop petits, pantalon de jogging noir et rose et T-shirt bleu ciel. Un petit boudin aux joues rouges et au regard torve. « Viens j’te dis ! Tu peux voir les trucs comm’ eut’ mémé, alors faut qu’te r’gardes dans l’van ! » continue de la presser Kevin. Elle se laisse faire de mauvaise grâce et arrive en trottinant devant la porte coulissante grande ouverte. Elle se fige et me dévisage. Ce n’est pas ma dépouille qu’elle fixe de la sorte, mâchonnant son chewing-gum d’un air bovin, c’est bien moi. Elle me voit. « Y a un fantôme dans eut’van bébé. T’es sûr qu’tu l’veux toujours ? » Kevin du haut de ses quinze printemps, semble accuser le coup. « J’savais bien que c’était trop bô çô…Je trouve un bô van comme çô…et pis y a un type mort dedans. J’ai vraiment pô de chance quô mém’… ». Il se laisse tomber sur les fesses et contemple le Volkswagen d’un air triste. Sabrina m’observe en ruminant. Le temps passe, sans paroles, dans les bruissements. Au bout d’un moment il se relève et vient rejoindre sa douce d’un pas décidé, vrillant de ses yeux bleus les orbites vides de mon crâne blanc. À défaut de pouvoir voir mon spectre, il s’adresse à mes os « Et ben j’ m’en fous si ya un fantôme ! Et ben quoi. T’es mort le fantôme, moi j’suis vivant. J’ai plein de trucs à faire, et j’ai besoin de c’ van. Alors qu’tu veuilles ou non, bah j’vais l’réparer. Et puis ensuite avec  Sabrinô, on va s’barrer de c’coin pourri et pis on va voir comment c’est ailleurs. C’est sûrement bien mieux qu’ici en tout cas. Et puis je ferai quequ’chose de ma vie. Ici y a rien. YA RIEN DU TOUT ! QUE D’CHI ! J’veux pô rester lô et mourir sans rien avoir fait. Alors j’vais réparer c’van et puis on va s’en aller. T’entends ? Que tu veuilles ou pô…» Du changement dans cette forêt qui ne semblait plus vouloir bouger. La promesse de choses nouvelles. Deux jeunes pousses viennent d’arriver. Fragiles mais volontaires. Le cri du changement, le cri du cœur. Le même qui m’avait poussé au volant. Je souris. Je ne peux pas m’en empêcher. Je souris de toute mon âme, parce que les choses vont changer. Je vais quitter cet endroit, avec eux, et partir à nouveau sur les routes. «Ç’a pô l’air de l’déranger bébé. »  lui dit-elle en me lançant un coup d’œil mauvais.

Jeunes pousses (4/4) - Sur la route

IV – Sur la route

            Ils cherchaient un coin tranquille pour faire l’amour et ils étaient tombés sur ma camionnette. Imbéciles et insoumis. Des adolescents, déjà à l’étroit dans ce village qui ne leur promet aucun avenir. En rupture totale avec des parents qui ont lâché prise, écœurés par leur propre pauvreté. J’en apprends un peu plus à chaque fois qu’ils viennent. Elle ramène une glacière avec de quoi boire et manger. Il ramène ses outils. Elle fait comme si je n’étais pas là. Elle lit des magazines, consulte son petit téléphone de poche, et range pendant qu’il s’affaire sur la carrosserie, change les pneus, répare le moteur, la direction, et tant encore. Il y a toujours quelque chose à faire, une pièce à changer, un écrou à visser, de la peinture à étaler. Il cumule les petits boulots pour pouvoir s’acheter le matériel. Le lycée, il n’y fait guère plus que quelques siestes quand il prend le temps d’y passer. Je l’aime bien Kevin. Un petit bête comme ses pieds, mais avec de la suite dans les idées. Un manuel, avec une détermination à toute épreuve. La première chose qu’il fait en arrivant c’est me saluer « Bonjour m’sieur le fantôme ». En repartant pareil « Au revoir m’sieur le fantôme ». C’est lui qui s’est occupé d’enterrer mes restes dans la forêt. Simplement, sans cérémonie. Une prière, un signe de croix. Vraiment, je l’aime bien. Elle, je ne sais pas. Son esprit reste hermétique à mon regard. Elle ne dit jamais rien, et quand elle ouvre la bouche, c’est pour se moquer de lui « Arrête de dire bonjour au fantôme, t’es bien idiot comme eut’père ! » ensuite elle part d’un rire mauvais avant de se replonger dans ses magazines, allongée dans mon lit. Jamais je ne l’ai entendu dire « Je t’aime ». Il n’y prête jamais attention et se contente de sourire. C’est sans doute leur façon de fonctionner. Elle l’aime en tout cas. Ça se voit à la manière qu’elle a de l’observer, de le toucher quand ils sont côte à côte, ses bras l’entourant jalousement. Parfois, elle sort le retrouver et ils s’embrassent. Comme des adolescents, passionnément, dans une effusion démonstrative, pleine de langue et de salive. Étreinte aussi touchante que dégoûtante. Elle l’entraîne sur le lit à sa suite. Ils se déshabillent avec empressement et font l’amour blottis l’un contre l’autre. Se serrant de toute leur force comme s’ils risquaient à tout moment de s’envoler. Souvent, elle me regarde, les yeux fiévreux, la peau perlant de sueur. À quoi pense-t-elle ? Quand c’est fini, ils fument une cigarette ensemble et puis chacun reprend son poste. Elle, à ses magazines, lui sa mécanique. Ce petit manège dure bientôt depuis un an, et enfin aujourd’hui, le moteur se décide à démarrer. La surprise. Elle lève la tête de sa revue, il reste interdit, le volant tremblant entre les doigts. « C’pô trop tôt » lâche-t-elle, un sourire aux lèvres. Kevin, la bouche grande ouverte enlève sa casquette et pousse un long cri en faisant vrombir le moteur du plat du pied « VRRRROUUUUM! ». Le moteur tourne, l’embrayage embraye, la direction dirige, les suspensions suspendent et les roues roulent. Le van avance et Kevin est bien incapable de fermer la bouche. Il entame un slalom au ralenti entre les arbres. Le tapis de feuilles mortes crépite sous les pneus, la vie qui y grouillait s’enfuit surprise par le vacarme. « Pô trop vite idiot, tu vas m’faire tomber. J’veux pas finir comme l’ot’ lô.» lance-t-elle à mon adresse. Elle se met à rire. Son gloussement agaçant est bientôt rejoint par celui aigu de Kevin qui fait semblant de ne plus rien contrôler et tourne le volant dans tous les sens. Leurs jours de misères s’achèvent enfin. À partir d’aujourd’hui commence leur vie. Mes deux jeunes pousses. Leur excitation me gagne. Plus d’autre limite à présent que le niveau d’essence dans le réservoir : le monde vous appartient, plus rien ne peut vous arrêter. À part peut-être ce rang serré de jeunes bouleaux qui barre le chemin au Volkswagen. Leur rire s’étouffe, mais le petit ne perd pas son optimisme. « C’pô grav’ çô. J’vais demander au père de Didier de m’prêter sa tronçonneuse et demain on est parti d’ici. ». La nuit tombe déjà, l’occasion de tester les phares du véhicule, l’occasion de quelques galipettes pour fêter leur bonne fortune. Ils me quittent débraillés et hilares, le cœur empli de quelque chose de nouveau. Je la surprends même à me sourire. À demain les enfants. Bientôt sur la route.

            Le lendemain, ni Kevin, ni Sabrina. Le jour suivant non plus. Les clés sont sur le contact, le van est prêt à partir, mais personne ne vient. Que leur est-il arrivé ? Les jours passent, les nuits se succèdent. Les saisons défilent. La rouille entame l’horrible peinture blanche que Kevin avait choisie. Il ne reviendra plus. Ni lui, ni elle. Mais si ce n’est eux, quelqu’un d’autre viendra. Les clés sont sur le contact, le van est prêt à partir. Ne manque plus qu’un chauffeur. Je regarde à la fenêtre, attendant sa venue, inlassablement. L’éternité ne m’effraie pas, j’ai quelque chose à attendre. Bientôt sur la route.

mercredi 24 avril 2013

Dernière chance


Debouts, face à face, le regard verrouillé dans les yeux de l’autre, lui, plus grand, la peau pâle, le poil hirsute, le cheveux clairsemé, elle, plus petite, la peau caramel, cheveux de jais. Ils se fixent avec intensité, nus, immobiles. Dans la chambre on n’entend que le sifflement lancinant de l’air conditionné. Leur torse se soulève au rythme de leurs respirations. L’air est épais, dense, il les garde prisonnier. Il l’a tant désiré, il a tant attendu ce moment, il devrait se jeter sur elle, la couvrir de baisers et de caresses, se baigner dans son parfum, goûter sa peau, pourtant il reste bloqué, incapable de faire le moindre mouvement. Il ne peut même pas parcourir du regard ce corps nu qu’il a tant espéré, deviné jours après jours au travail, ces courbes qu’il sait parfaites. C’est son regard. Ces yeux noisettes plongés dans les siens ont éteints, ou du moins suspendu quelque chose en lui.

« Tu ne sais pas. Tu ne comprends pas ce qui est en train de se dérouler dans cette chambre d’hôtel. »

Une voix légèrement aiguë,  un peu nasillarde, une voix chaude et rassurante. Dans son corps, des picotements , comme si la vie revenait en lui au contact des mots.

« Tu ne mesures pas encore les conséquences de ta quête désespérée. »

Il se souvient de leurs conversations à la machine à café, leurs rires, les réunions de travail. Une jeune femme légère, une indienne aux proportions incroyables, une fausse ingénue, une vrai belle personne. Le désir qui a finit par occuper chacune de ses pensées. Le désir de la posséder. Sa voix. Ses mots. Ses yeux. Tout pourtant le glace aujourd’hui.

« Une fois que tu m’auras touché, une fois que tu auras goûté à ma chair, alors il n’y aura plus de marche arrière. »

Une peur étrange s’insinue en lui, pourtant les picotements ont finis de parcourir son corps, ses muscles se détendent déjà. Des yeux il détaille, malgré lui, comme un réflexe incontrôlable, cette femme qu’il croyait connaître. Ses jambes galbées, ses fesses généreuses, sa taille fine, ses seins pleins, dressés, comme un défi à la gravité, ses longs cheveux noirs, brillants qui glissent contre ses omoplates, contre sa peau délicieusement ambrée. Un corps de magazine. Un corps rêvé.

«  Au premier baiser, tu sera perdu. Damné à jamais, comme bien d’autres avant toi. »

La terreur s’empare de lui. Son cœur se serre. C’est sans doute ce que ressent un lapin, tétanisé, devant les phares d’un camion. Elle vient de saisir sa verge. Sa main est chaude, et ses doigts habiles.

« Faire l’amour avec moi, c’est se condamner à la folie. »

Elle se rapproche, collant sa poitrine contre la sienne. La douceur de ses seins, la souplesse de leur texture, ses tétons qui durcissent contre lui, à fleur de peau il ressent tout au centuple. D’une main, elle poursuit ses lents va-et-vient, glissant l’entrée humide de son sexe contre son gland. De son autre main, elle fait jouer ses doigts sur le bord de ses lèvres. Il ne peut rien faire tandis qu’elle introduit un index dans sa bouche. Il ne contrôle plus rien, son corps lui échappe à nouveau. Sa langue bouge d’elle-même, ses lèvres se referment pour mieux sucer le doigt. Se rapprochant à son oreille, elle poursuit sa litanie en susurrant.

« La passion, vous n’avez que ça à la bouche. La passion est un feu qui brûle les corps…jusque l’âme. »

Elle fait glisser une jambe contre son flanc, et, avançant son bassin, fait pénétrer le sexe, tendu et palpitant, en elle. Sa matrice brûlante et humide l’enserre. La chaleur dans son bas ventre s’étend. L’excitation envahit chaque cellule de son corps, tandis qu’elle ondule contre lui. Petit à petit, la raison le quitte. Ne reste que le désir, l’excitation, et cette terreur grondante qui lui donne envie de hurler. Quelque chose d’horrible va arriver, il en est certain, mais son corps ne lui obéit plus. Le plaisir dilue sa conscience.

« Je vais te montrer ce qu’est la passion, et tu préféreras être mort. »

Ses ondulations de bassin s’accélèrent. Dans un bruit obscène de piston humide leurs sexes s’unissent violemment . Ses seins vibrent et rebondissent contre son torse. D’une main sur ses fesses, elle le presse plus brutalement en elle. Son regard est fiévreux, sa peau scintille et perle de transpiration. Les doigts de son autre main se referment dans les cheveux de sa victime consentante. Il va mourir, devenir fou, ou peut-être pire encore, mais cette peur aiguë qui vrillait son cœur, il ne l’entend plus. Il n’entend que le sang qui bat dans ses tempes, leurs bassins qui s’entrechoquent, leur souffle chaud qui se mue en plainte, sa langue de harpie qui lèche frénétiquement son oreille. De ses deux mains il agrippe ses fesses charnues et l’attire à lui plus fort encore. Prisonnier, il ne l'a jamais vraiment été. Le rythme accélère, les plaintes se changent en râles, leurs langues s’entremêlent furieusement, leurs corps se serrent jusqu’à ne former plus qu’un. Jouir en elle, enfin. Tout devient blanc. Son corps entier se tend dans un ultime effort.  Il  n’entend plus rien, pas même leurs cris à l’unisson. Ses jambes le lâchent, il se sent tomber. Une chute qui ne semble jamais vouloir s’arrêter. Sa conscience se dissout.  

« Tu m'appartiens. Tu es perdu. »

vendredi 1 mars 2013

Amours charnels

Tu as trébuché en me voyant accourir vers toi. La surprise se mue rapidement en terreur. Tu es comme paralysée par la peur et tu ne parviens même pas à te relever. Te voir fuir en rampant d’une façon si disgracieuse me rend triste, toi qui étais si belle.

Nous ne nous sommes jamais parlé pour ainsi dire, et ce n’est pas maintenant que cela va changer. Pourtant je t’ai toujours observé dans l’ombre, en silence. Gardant pour moi seul ce désir grandissant. Travailler au même étage que toi c’était une chance; et quand bien même nous étions dans des services différents, je pouvais régulièrement t’apercevoir. La pâleur de ta peau parsemée de taches de rousseur. La douceur de tes traits angéliques, comme un pied de nez aux débordements érotiques de ton corps opulent. Tu faisais frémir ma chair quand j’étais un vivant, et tu continues encore par-delà ma mort.

Je n’y peux rien, ce n’est pas contre toi. Je ne suis que le pilote impuissant d’un vaisseau de chair en décomposition. La faim qui m’étreint n’a aucune limite, mais ce corps qui ne m’obéis plus, je le ressens encore. Je n’ai jamais été aussi excité de mon vivant. Ces mains qui te cherchent, qui te griffent qui t’agrippent, je les ressens. Le contact de ta peau souple et douce sous mes doigts noircis me rend  ivre de bonheur. Dans ta lutte désespérée, tu as perdu tout un pan de tes vêtements. Ta jupe, plus que fendue, déchirée, révèle tout à fait la dentelle de tes dessous noirs et j’entraperçois le roux de ta toison. Si j’avais encore du sang dans les veines, il irait si vite qu’il ferait exploser mon cœur supplicié. Plus de bretelles pour ton soutien-gorge, perdu dans la bagarre. Un sein lourd et blanc déborde sur le côté de ton T-shirt à moitié arraché. Tes cheveux, feux sauvage et bouclé, éparpillés sur le pavé, ton regard clair remplie de larmes, ta bouche qui m’implore…Tu es la plus belle chose que j’ai jamais vue.

Mon désir et ma faim insatiable ne forment plus qu’un même maelström d’émotions brûlantes. Mes mains plongent en toi sans effort. Je sens ton corps vibrer, se tordre. J’entends l’émotion dans ta voix, les modulations de tes hurlements, tes yeux qui se révulsent. Je suis au plus profond de ton être, la tête enfoui dans ton giron, fouillant toujours plus loin, sentant ton intérieur chaud et humide palpiter. Chaque bouchée est un délice qui me rapproche de l’extase. Je suis en toi et bientôt tu feras parti de moi. Ma langue lèche ta peau fiévreuse, mes mains pétrissent ta chair pleine, mes ongles te déchirent, mes dents te mordent. Je te dévore. Tes yeux verts fixent le ciel, sans vie. Ta bouche auréolée de sang et de sucs épais est figée dans un hurlement muet. Ton corps a cessé de trembler et n’est plus agité que par ma mastication frénétique. Tu es à moi, rien qu’à moi. Bientôt les autres arriveront attirés par tes appels à l’aide, tes cris d’effroi, tes hurlements de douleur. Ils ne trouveront que tes os. Tu n’es qu’à moi. Maintenant et pour le restant de mon éternité.

mardi 26 février 2013

Mighty Real

« I can't catch no man
Hangin’ out at the DISCOTHEQUE !
But I believe in the boogie
Oh, but the boogie don’t believe in me!...»
Le tube disco de Brainstorm résonne dans ses écouteurs et il entamerait volontiers un petit pas de danse tellement la chanson est entraînante, mais la combinaison spatiale ne permet pas de telles excentricités. Du revers de la main il écarte un cadavre qui dérange sa progression. La malheureuse jeune femme d’affaire s’envole en vrillant vers un immeuble d’habitation non loin. Pendant un court instant il entraperçoit sous la jupe de tailleur les dessous de la défunte. Une des petites joies de l’apesanteur. Elle rebondira mollement contre un mur vers une direction nouvelle qui ne l’intéresse pas plus que ça. Peut-être s’envolera-t-elle tout à fait pour quitter les parages de la planète qu’on appelait Terre.

C’était autrefois une rue animée du XIVe arrondissement, à présent les dépouilles et les carcasses de voitures parsèment les airs. Des badauds aux yeux vitreux tournoient sans grâce près des fenêtres d’immeubles haussmaniens. Des scooters sans pilotes font la courses au dessus des toits. La lumière orange des lampadaires illumine la nuit. Les yeux verts brillants des chats vagabonds le suivent avec une avide curiosité. Ils ne doivent pas en voir passer beaucoup des bipèdes dans le coin. Parfois ils bondissent sur son passage fendant l’espace en un sombre éclair, jouant de l’absence de gravité avec grâce et dextérité. Etranges créatures. S’il y avait encore des scientifiques, il aimerait bien en trouver un pour lui expliquer comment ces bestioles font pour survivre dans le vide spatial. A pas mesurés, il se rapproche de sa destination : le supermarché monoprix du coin de la rue. Là-bas, il va chasser sa nourriture pour les prochains jours. Armé d’un filet à papillons, il va capturer les boites de conserves de son choix parmi les milliers de produits en lévitation. Mannequins au teint d’albâtre, vêtements flamboyants, cadavres de caissières, shampooings, aérosols, paquets de chips explosés, des milliers de litres de sodas flottant en gouttelettes multicolores et jets aux formes changeantes. Les boîtes de conserves sont les seules choses qui aient réussis à supporter la différence de pression avec le vide totale. Les chats font leur festin de la nourriture flottante expulsée d’emballages trop fragiles. Il aurait bien trouvé un paquet de chips encore entier pour les enfants. Leur apporter un petit quelque chose de différents pour égayer leur quotidien.

Prisonniers de leur propre survie, coincés dans l’appartement sept jours sur sept, privé de la lumière du jour, Célia et Mathieu trompent l’ennui devant l’écran. A défaut de télévision ils ont des DVD, des jeux-vidéos, parfois des livres. Régulièrement, il fait une sortie pour ramener de quoi les distraire. Sylvie, leur mère, n’aime pas qu’il les gâte de la sorte, mais elle est morte il y a deux semaines et il n’y a plus que dans ses rêves qu’elle peut encore critiquer sa façon de les élever. Ils survivent et c’est déjà ça. Les plantes de la serre fournissent l’oxygène, les panneaux photovoltaïques, l’électricité. L’eau potable, il y en a encore, mais pour combien de temps ? Il trouvera bien quelque chose…Il a trouvé jusqu’à maintenant.

Le filet chargé de provisions, il quitte le supermarché, suivit de près par une bande de chatons curieux. Avant de rentrer, il aimerait voir comment se porte Paris. Poussant fort sur ses jambes, il s’arrache au sol et décolle. Glisser dans le vide, sans sentir aucune résistance, encore aujourd’hui cette sensation le grise. Voler plus haut. Au dessus des hommes, plus haut que n’importe qui, la tête dans les nuages, s’il y en avait encore. Quand la vue le satisfait il stabilise l’altitude à coup de spray coiffant pour les cheveux. Axe ne lui a pas permis de séduire qui que ce soit dernièrement, mais c’est un propulseur efficace en tout cas. De là-haut il contemple la ville et ses habitants qui affleurent en lévitation à sa surface. Comme le pollen s’échappe d’une fleur, les parisiens dérivent dans l’espace dans l’espoir vain de féconder un jour un nouveau monde. La marée haute aspire la Seine et la sort de ses quais, projetant par endroits de larges arcs d’eaux trouble dans la nuit. Du coin de l’œil il repère un chatons un peu trop téméraire qui a tenté de l’imiter et plane sans un bruit les pattes en avant. Le pauvre a mal calculé son coup, il va lui passer à côté et semble s’en rendre compte. Agitant frénétiquement les membres il tente de corriger le tir. C’est peine perdue. Bruno le rattrape, le rejoignant d’un coup bien ajusté de laque à cheveux. Un peu plus et c’était la Lune. Une longue ballade pour sûr. Le jeune félin lui adresse un miaulement muet, mais qu’il sait chargé de remerciements. Puis d’un bond leste qui envoie Bruno valser un peu plus haut, le petit s’en retourne vers le plancher des vaches. Ou plutôt le plancher des chats. Sa trouvaille le satisfait. Il racontera ce joli mot d’esprit à ses enfants en rentrant.

En attendant, il tourne. Les lumières de la ville se confondent aux étoiles plantées dans le ciel infini. La voix sur-aigüe de  Sylvester emplit à présent l’espace sonore de son casque, couvrant son souffle court, puis son rire éclatant. La chanson tombe à point nommé, dans cet univers qui n’a plus aucun sens.
« YOUUUUU MAKE ME FEEL !
MIIIIIIIIGHTY REAL !
YOUUUUUU MAKE ME FEEEEEEEL !
MIIIIIIIIIIIGGGHTY REEEEAAAALLL ! »
Il reprend à tue-tête le refrain en entamant sa redescente tourbillonnante à coup de d’aérosol. Les lumières dansent autour de lui et il rit. Bruno, le dernier père de famille. Bruno, le dernier fou. Bruno le dernier amoureux de musique disco.

jeudi 8 novembre 2012

Secrets

       Dans la vie de chaque être humain, il existe des zones d’ombre, des choses que l’on n’a pas envie de s'avouer. Des idées qui demeurent à l’état de fantasme. Des pulsions à l'encontre desquels on passe sa vie à lutter. Ces choses dont on aimerait parler, mais on ne sait pas vraiment à qui. Tout le monde ne saute pas le pas de l’analyse par un professionnel. C’est souvent coûteux, et les freins moraux et sociaux sont encore trop forts en France. Alors on vit chaque jour en transportant une bombe à retardement sur soi. On sait qu’elle est là, mais on essaye de l’oublier. Au risque de se perde de vue pour mieux se conformer à un idéal accepté. « Ça va passer si je pense à autre chose ».

Malheureusement je suis un type plutôt lucide et il m'est impossible d'éluder ces aspects de ma personnalité plus longtemps. Pour certains, des années de psychanalyse sont nécessaires ne serait-ce que pour approcher de loin le sujet. Plus que de la lucidité, c'est un état de communion parfaite avec moi-même. Une relation très simple que nous entretenons mon MOI, mon CA, et mon SURMOI. On discute. On se raconte tout. Nous n'avons aucun secret les un pour les autres. Si vous ne reteniez que ça de moi, vous pourriez penser que je suis l’homme le plus sain et équilibré du monde. Je me demande.

         Les gens mettent une vie entière à découvrir qui ils sont vraiment et c'est sûrement tant mieux pour eux. Moi je le sais. Je connais les moindres déviants secrets de mon esprit. Je vis tous les jours avec mes démons, mes peurs, mes perversions, mes secrets. Car si en effet, je n'ai aucun secret pour ma propre personne, les choses que je sais de moi se doivent de rester cachées aux yeux du monde. Et si un jour, je devais tout déballer, ce serai la grande explosion des liens sociaux que j'ai mis si longtemps à tisser. Si seulement ils savaient…S'ils savaient quel plaisir malsain j'éprouve à regarder ces petits chatons se noyer dans ma baignoire. Le frisson exquis d’un scalpel qui s’enfonce dans la chair d’un animal encore chaud. S’ils savaient, ils devineraient sans peine les pulsions bien plus morbides qui m'habitent et contre lesquels je dois chaque jour un peu plus lutter.
        Disséquer de petits être dénués du don de la parole n'a plus aucun intérêt à mes yeux. J'aimerais tellement savoir ce que ça fait de voir un homme ou une femme hurler à mort. Se débattre, la peur dans les yeux. Le corps agité de spasmes. Les organes internes qui palpitent, bien loin de la chaleur du corps auquel je les auraient extirpés. Mon sexe tendu qui s'enfoncerait dans leurs entrailles à vif. Leurs pupilles qui se révulseraient, le sang et la salive mêlées, mes doigts s’enfonçant lentement dans leur cerveau à nu. Ces désirs m’habitent et je ne peux les empêcher d’exister. Je suis ainsi fait. La seule chose qui est encore en mon pouvoir, c’est de les empêcher de devenir réalité. Et c’est en partie pour cette raison que je vous raconte tout ça, anonymement. Pour me délester de ce fardeau horrible, cette sensation qu'un jour je pourrais basculer dans la folie. Un jour  je le mettrai dans votre verre ce cachet de GHB que je garde précieusement dans ma poche de jean. Combien de temps vais-je encore pouvoir tenir mon déguisement d’être humain, moi qui suis loup. Un jour je finirai par passer à l'action. Je ne serai plus capable de lutter contre moi-même. Je céderai enfin à ces pulsions qui me hantent pour ne plus jamais être le même...


Poisson d'avril! Ah mince, on est pas en avril. Alors JOYEUX HALLOWEEN!!!
Ce petit texte sera ma contribution en retard à cette fête de la frousse. J’espère que vous vous sentez très mal à l’aise, et que vous avez eu momentanément très très TRES peur de me rencontrer en vrai. Auquel cas, je mériterais quelques bonbons tout de même ^___^. En vrai je suis un gentil pipou, mais Stephen King et Bret Easton Ellis ont une très mauvaise influence sur moi en ce moment.
Encore désolé de déserter le blog de la sorte, mais j’ai beaucoup de projets d’écriture qui me tiennent à cœur en ce moment et j’ai décidé de leur donner la priorité. Mais quand l’envie me prendra de venir écrire n’importe quoi pour me défouler, je serai content de vous retrouver.
Des bisous à tous et encore Joyeux Halloween en retard!